Autonomie et dépendance en psychothérapie

Suite au visionnage du documentaire Netflix “La méthode Stutz, un bonheur à construire”, j’ai voulu en faire une réflexion à partager et possiblement éclairante (mais ça, ce sera à vous de juger !).

La question de l’autonomie et de la dépendance est au cœur des débats déontologiques mais aussi des moyens psychothérapeutiques selon les obédiences théoriques et les valeurs éthiques de chaque professionnel.

En effet, le processus thérapeutique va, à certain moment, généré ou avoir comme conséquence, une forme de régression chez le patient/client. L’alliance thérapeutique en elle-même est une forme de dépendance relationnelle et est nécessaire pour mener à bien une thérapie approfondie et de qualité. 

Malgré ces impondérables pouvant être perçus comme une perte d’autonomie, il est important d’en vérifier leur qualité temporelle et quantitative : sont ils ponctuels et sont ils partiels ? 

Car si les régressions et les dépendances relationnelles se meuvent en infantilisation et en dépendance affective, leur caractère transitoire devient rigide, continu, si ce n’est entretenu et devient plus délétère au patient que bénéfique et vecteur de liberté souveraine.

 

Bien souvent, des enjeux narcissiques se retrouvent en filigrane et ils concernent bien le thérapeute lui-même et non le patient. Ce n’est pas le job du patient de s’assurer que la déontologie et l’éthique soient respectées, bien qu’il puisse s’y positionner. Cela devrait rester la responsabilité du professionnel, qui de par sa qualité de professionnelle, porte la charge du bon positionnement, du respect des limites et de la protection d’un cadre sain et constructif pour le patient. 

Ces conditions sont donc l’opposé d’un cadre aliénant qui transforme le patient comme en partie étranger à soi-même, dépendant du thérapeute pour sa régulation, sa connaissance intérieure et son équilibre général dans la vie. 

Ceci étant posé, venons en au documentaire ici cité.

Cela faisait longtemps que je souhaitais le voir. L’aperçu de cette production laissait entendre que des outils psychothérapeutiques puissants allaient y être révélés et qu’une approche originale, celle du Dr Stutz, allait y être exposée. Il est vrai que le documentaire montre, parfois par l’explication, parfois par l’exemple, un panel de la construction de pensée de ce psychiatre. 

La réalisation et l’authenticité de Jonah Hill m’a personnellement touché et j’y ai senti d’ailleurs une belle résilience, une fine élaboration et une justesse de positionnement. Positionnement qui s’est montré parfois, si ce n’est souvent, plus aligné et ancré que son propre thérapeute, le docteur Stutz. 

L’origine de la démarche y est incluse avec humilité, authenticité et spontanéité, tout du moins en ce qui concerne Jonah Hill. Le thérapeute, lui, semble se dérober à la démarche, butant en touche et laissant son patient s’exprimer sur le sujet alors qu’il semble pourtant avoir accepté de tourner ce documentaire sur lui-même et ce, pendant plus de 2 ans ! Ce n’est pas faute qu’il se le fasse rappeler plusieurs fois tout au long dudit documentaire !

Après ces premières impressions, viennent assez rapidement les premières idées de ce traitement original, les premiers outils et concepts. Ils seront alors égrenés tout au long du documentaire rendant le rythme scénaristique fluide et dynamique. 

Tantôt Dr Stutz l’explique, tantôt il le fait expérimenter en direct à Jonah Hill. 

Une des premières choses qui a retenu mon attention est le discours paradoxal du docteur : 

  • à la fois pessimiste et fataliste : on ne pourra jamais se débarrasser de notre “part X”, qui serait nos démons intérieurs, tout ce qui nous bloquent et nous freinent dans notre cheminement

  • à la fois optimiste et encourageant : il nous revient de changer nos discours intérieurs, de se brancher sur des émotions plus aimantes et lumineuses, de briser les nuages au dessus de notre tête pour se laisser toucher par le soleil

Le problème est que cela crée une sorte d’injonction paradoxale : “travaille à éloigner ta part X même si elle ne te laissera jamais tranquille”. Quoi de mieux pour maintenir le besoin de consulter un thérapeute qui aide à son éloignement : le besoin ne cessera jamais, donc les séances non plus.

Par ailleurs, le résultat de ce paradoxe peut aussi être vecteur de culpabilité. “Si je suis trop aux prises avec ma part X, c’est que je ne fais pas assez d’effort (de travail sur moi) pour me connecter à autre chose, à quelque chose de plus positif”. Or, cela revient à dire que c’est la faute de la personne si elle se laisse envahir par ses croyances limitantes, ses traumas, ses peurs et autres émotions dysrégulées. Bien qu’il y ait une forme de responsabilité à retrouver au travers du processus thérapeutique (notamment la responsabilité de prendre soin de soi, de se respecter et d’apprendre à se faire respecter tout comme la responsabilité d’apprendre à réguler ses émotions), risquer d’y induire une forme de culpabilisation est anti déontologique et anti thérapeutique. 

Selon la conceptualisation du Dr Stutz, les 3 piliers de la vie (ou choses dont on n’échappe jamais) seraient la souffrance, l’incertitude et le travail sur soi. 

2 choses fatalistes et 1 “action” possible.

Pourtant, ce docteur, qui a l’air d’être très assuré dans la pertinence de ses idées et de son traitement, semble peu familier de l’exercice. Lorsque Jonah Hill le questionne et inverse la vapeur, devenant momentanément le thérapeute, Dr Stutz se fige un peu, sa pensée se ralentit, ses émotions semblent s’entrechoquer et la réponse à des questions d’introspection dites classiques en psychothérapie semble peu accessible. Il le dit lui même : “il ne s’est pas vraiment demandé”… Lorsqu’à 74 ans, on a construit une théorie qui mettait en exergue le travail continue sur soi et qu’on ne s’est jamais demandé quel impact le discours de notre figure maternelle avait eu sur nous, je me dis que l’expression “faites ce que je dis, pas ce que je fais” doit être bien plus familière à ce personnage que sa propre théorie. 

En parlant de théorie, parlons de certains de ses concepts. 

Nous avons déjà abordé la “part X” et sa fatalité. Si nous la traduisons en termes psychothérapeutiques déjà existant, nous pouvons parler de croyances limitantes, de schémas relationnels dysfonctionnels, de résistances psychologiques et d’émotions dysrégulées. Tout cela peut amener à de l’auto sabotage et donner l’impression que nous avons des parts sombres qui ne demandent qu’à nous détruire, à nous rabaisser, à nous empêcher de poursuivre nos rêves. Or, ce n’est pas du tout le cas. Elles ont toutes une fonction et tant que cette fonction n’est pas comprise et que leurs besoins ne sont pas répondus, ces parts continueront à œuvrer, pensant bien faire. Mais ce sont aussi des situations qui se gèrent très bien en psychothérapie. Si le travail est réellement bien fait, plus besoin de surveiller une quelconque “part X” et de la mettre en touche car nous serons alors capable de comprendre quelle part de nous s’exprime et pourquoi. Nous pourrons mieux y répondre, plutôt que de tenter de l’éloigner, lui conférant une puissance maléfique telle que nous ne supporterions pas de la contacter et de dialoguer avec elle de manière constructive. 

Dr Stutz utilise un autre concept qu’il a appelé “Snapshot”. On peut le traduire par “un instantané”. Il désignerait une image fixe et rigide de désir que nous érigerions comme des buts ultimes et comme des conditions de notre bonheur. La part X viendrait empêcher l’atteinte de cette image. Il insiste pour dire que cet instantané n’est qu’une illusion et que ce n’est pas la clef du bonheur. Sur ce dernier point, je le rejoins. Ce n’est effectivement pas le fait d’atteindre un objectif ou un but qui permet de contacter un état de bonheur. En revanche, et comme il le précise aussi justement, le fait d’accéder au plaisir du cheminement, du trajet, du voyage emprunté pour y aller nous permet davantage l’accès au bonheur, que nous réussissions ou non à atteindre le dit but.

Là où je souhaite apporter un bémol au concept de Snapshot est qu’elle ne devrait pas à mon sens être diabolisée, comme une image factice et trompeuse. Une forme de détachement du but, le même dont parlait déjà Gandhi à travers la Bhagavad Gita, est pertinent car cela empêche de rigidifier nos comportements et attitudes. En revanche, redonner une valeur à ces images comme des fenêtres directes sur nos valeurs, nos aspirations de vie, nos principes de vie mais aussi nos peurs, nos croyances limitantes, nos préjugés parfois, me semble plus que pertinent, et encore plus au cœur d’un travail psychothérapeutique. 

Le documentaire mentionne d’ailleurs le concept de l’ombre, sans le rattacher à son théoricien qui n’est autre que C. G. Jung ! Cela laisse à penser que le Dr Stutz pourrait également en être le penseur, ce qui semble nourrir un narcissisme par ailleurs visible chez ce thérapeute malheureusement peu original par son manque de déontologie et d’éthique. 

L’ombre est un concept nous permettant, notamment, de repérer chez l’Autre, ce qui est potentiellement répudié en Soi. “Qu’est ce que je ne m’autorise pas en moi, et que je ne supporte pas, en conséquence, chez l’Autre, lorsque celui-ci ose s’y autoriser”. 

C’est donc très différent de la présentation de la part X ou du Snapshot. 

Venons-en aux outils ! 

La seule question des outils et de leur place en psychothérapie est un sujet de débat tout entier, qui divise obédience théorique et personnalité des thérapeutes. Cela explique d’ailleurs en partie pourquoi est-ce si difficile pour les patients de se repérer dans le dédale de professionnels de la santé, sans même y inclure les coachs, les psychopraticiens (non diplômés de psychologie donc), les techniciens de telle ou telle approche, etc. 

A mon sens, l’outil doit servir la clinique mais ne devrait pas être utilisé pour la remplacer, faute de mieux ou faute de clarté du thérapeute sur la stratégie thérapeutique à adopter. Cela donne souvent des exercices dont on ne sait comment les reprendre une fois fait. On ne sait pas toujours très bien ce que c’est censé faire d’ailleurs. Et on peut être amené à les appliquer bêtement car quelqu’un que l’on paye nous a dit de le faire : l’inverse de la souveraineté psychique et personnelle donc !

Pour qu’un outil soit pertinent, et cela ne tient qu’à ma vision de la thérapie, il se doit d’être adaptable, créatif, personnel, et évolutif. Ces caractéristiques leur assurent une forme d’autonomie dans leur utilisation avant même la première utilisation, puisqu’ils ne dépendent pas d’un thérapeute ou d’un tiers qui aurait conceptualisé l’outil de manière particulière. Il ne devrait pas devenir une contrainte et ne devrait pas induire un manque de respect des limites ou de la sensibilité des personnes l’utilisant. Il ne devrait pas non plus pousser à une expérience qui ne fait pas sens pour la personne. 

Le fait de dire que la personne comprendra après coup car l’outil serait tellement génial que ça ne peut pas ne pas marcher induit deux choses :

  • Perdre son sens critique et s’en remettre au donneur de consigne aveuglement, quand bien même nos limites ne seraient pas respectées 

  • Risquer de se sentir comme irrécupérable et définitivement inadapté si l’outil ne fonctionne pas !

Car aucun outil n’est universel ! Aucun média n’est magique. Aucune méthode n’est autosuffisante. 

Le travail sur soi ne peut être que changeant, évolutif, fonctionnant bien souvent par palier plus que par progression exponentielle ou linéaire.

Les outils que le Dr Stutz propose et/ou explique à Jonah Hill utilisent presque exclusivement la visualisation. 

Bien que je l’utilise également dans ma pratique, c’est un outil qui ne convient pas forcément à tout le monde et qui a donc, comme tout outil, des limites. 

Par ailleurs, les exercices du documentaire se révèlent très guidés et induits par les images du thérapeute lui même : “sent l’énergie de l’Amour, envoie le vers la personne que tu as le plus de mal à aimer, laisse toi tomber en acceptant de perdre ce que tu as le plus peur de perdre, devient le soleil en laissant fondre ton corps dans la chaleur, etc.”

En plus de générer potentiellement des angoisses de morcellement et de dépersonnalisation pour certaines personnes vulnérables à ce genre d’expérience, elles ne sont que peu adaptables aux images propres du patient/client. Elles ne parlent donc pas tant du monde interne du patient, de ses nœuds à lui, de ses blocages ou de ses besoins que des idées du thérapeute sur une homéostasie sans conflit. 

Envoyer son Amour à une personne qui nous a agressé et dont certains actes peuvent être considérés comme des crimes ne me semble pas être une priorité thérapeutique pour retrouver un apaisement et une souveraineté de l’être. Ce serait encore se soumettre à une norme sociale ou spirituelle qui érigerait l’Amour comme la seule option acceptable. Même si c’est peut-être la seule qui a le pouvoir de nous nourrir autant sur un plan corporel, psychique et spirituel, elle ne devrait pas occulter le besoin de répondre à nos blessures par des moyens adaptés et alignés. 

Une colère contre l’agresseur peut avoir cet effet de décoller sa violence de notre valeur personnelle, de notre légitimité à être et à vivre autre chose, de meilleur. Vivre et exprimer sa colère ne veut pas dire agresser l’agresseur. C’est souvent contre productif et cela n’apaise pas l’émotion et la blessure liée. Mais pouvoir avoir l’espace pour faire exister légitimement et de manière régulée cette colère est thérapeutique en soi et même libérateur. 

Pour revenir aux exercices de visualisation proposée dans le documentaire, ils me semblent plus relever d’une pratique d’hypnose que d’outils originaux créés et implémentés par le Dr Stutz, qui semble encore une fois ne pas faire d’objection quant à la paternité sous entendue de ces concepts et approches.

Le dernier point que je voulais aborder et qui est probablement le plus épineux, est celui de la relation entre les deux protagonistes. A la fois touchante et émouvante, elle semble être teintée aussi de double sens dans des interactions qui devraient rester, comme la thérapie le demande, le plus claires, explicites, transparentes et prévisibles possible. Tout ceci dans le but de créer un climat de sécurité et d’authenticité dans le fait d’être ensemble, au-delà de ce que nous allons y faire. Car c’est globalement le lien qui répare et panse les blessures de l’âme, bien plus que les outils utilisés, quel qu’ils soient. 

A cet égard, on observe bien trop souvent Dr Stutz évincer des interactions qui le mettraient mal à l’aise alors qu’il soulève le besoin de vulnérabilité pour que le lien (et le documentaire) fonctionne. Comme s’il disait “Toi, montre toi vulnérable, moi je suis moins concerné même si je vais te faire croire que je sais l’être en tout temps”. Mais la plupart du temps, il utilise l’humour comme barrière et bouclier, parfois défensif et parfois offensif. Mais sous couvert d’humour, on peut s’autoriser beaucoup de choses sans se dire que l’interaction peut en être impactée alors qu’elle l’est dans tous les cas, si ce n’est plus. Car dans l’humour, les doubles lectures fusent et une part du message n’est pas assumée de manière affirmée. Celle-ci va droit au coeur, droit dans la part X peut être … !

C’est d’ailleurs Jonah Hill qui finit par le recadrer de manière assez ferme car, de toute évidence, l’évitement est tellement puissant qu’il nécessite une dose d’électrochoc. 

Je trouve regrettable que le thérapeute n’ait pas davantage conscience de ses propres mouvements internes et surtout, plus de régulation dessus. Comment alors demander à son patient d’en faire de même, quand on s’en montre incapable ? 

Peut être est ce pour cette raison que la théorie du Dr Stutz inclut des concepts fatalistes et quasi incontrôlables. Plus qu’une théorie psychothérapeutique, elle parlera davantage de la vie et du fonctionnement du personnage, comme c’est souvent le cas d’ailleurs ! 

Toute création parle de ce qui réside en nous, de ce qui nous reste masqué et de ce qui est en mouvement.

Ainsi, Dr Stutz se construit une théorie dont les parts sont rigides bien qu’il conceptualise un ensemble mouvant pour “continuer à avancer”.

Nous ne pouvons que faire le parallèle avec la maladie de Parkinson, rigidité dans l’évolution de la vie, de la vieillesse.

Ainsi l’œuvre rejoint l’auteur et l’auteur modèle son œuvre selon son intériorité. 

Je remercie infiniment ce documentaire qui m’a donné matière à réflexion. Bien que celles-ci peuvent paraître tranchées et parfois incisives, elles sont autant le fruit du plaisir de l’argumentaire que de la réflexion clinique. Travailler avec l’humain est terriblement challengeant et extraordinairement exigeant. Chaque professionnel a une façon propre à lui d’agir ces connaissances, de les mettre en mouvement au service de son patient et de les exprimer avec le plus de clarté possible malgré la complexité des concepts (et de la vie). 

Jonah Hill semble avoir fait un chemin considérable grâce à cette thérapie et à l’attachement qu’il porte au Dr Stutz. Cela est digne de gratitude et a une valeur suffisante en soi. 

Mes remarques et réflexions sont là, autant pour me pousser dans ma réflexion professionnelle et personnelle que vous donner aussi des opportunités de réaction et de flexibilité mentale autour de ces sujets ardus : comment initier le changement et comment soutenir un processus de transformation ? Par qui, comment, pourquoi, quand et pour qui ? Autant de questions qui en apparence sont simples mais ne le sont pas du tout quand on plonge sous la partie émergée de l’iceberg et que l’on découvre l’ampleur des réflexions s’y rattachant !

Mon travail autour de ce documentaire me donne envie de le faire autour d’un autre documentaire, vu il y a plusieurs années : “I’m not your guru” ! 

Il m’a beaucoup marqué, m’a fait pleurer (plusieurs fois), m’a perturbé, m’a irrité parfois mais m’a surtout rendue curieuse et pensante ! Pas pensive, mais bien pensante. Et c’est cela que j’aime : être en réflexion, décortiquer, comprendre ce qui me parle et ce qui me parle moins et pourquoi ! 

Si l’analyse de ce documentaire si particulier vous intéresse, faites le moi savoir en commentaire ! 

Avez-vous déjà vu “La méthode Stutz” ? Qu’en avez vous pensé ? Qu’avez vous envie de retenir de cet article ? Comment cela vous parle-t-il ?

Bonjour !
Ravi de vous rencontrer.

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